
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 18 novembre 2025
Vous avez peut-être vu la vidéo rendue publique le 1er novembre, dans laquelle Itamar Ben-Givr se tient devant une rangée de prisonniers palestiniens couchés face contre terre, la tête dans un sac et les mains liées dans le dos.
"Regardez dans quelles conditions ils vivent aujourd'hui, des conditions radicales",
a déclaré le ministre ultra-sioniste de la sécurité nationale du cabinet fanatique de Bibi Netanyahu, en se tournant vers son entourage.
"Mais nous devons passer la vitesse supérieure. Notamment la peine de mort pour les terroristes".
Les détenus à plat ventre sur le sol étaient apparemment des membres de l'unité d'élite al-Nukhba des forces spéciales d'al-Qassam, la branche militaire du Hamas. Ben-Gvir, un colon militant totalement étranger au droit international, aux lois de la guerre ou à toute norme admise, veut que l'État sioniste tue les prisonniers de guerre. Tel est son souhait.
Si vous n'avez pas vu la vidéo (voici la version CNN, un des rares grands médias à en avoir parlé, avec un bon sous-titrage en anglais), vous avez peut-être remarqué l'indignation que ses propos ont suscitée dans le monde entier (à l'exception des États-Unis). Les images de Ben-Givr, colon aux propos orduriers, ont fait le tour des réseaux sociaux - YouTube, Facebook, Instagram. Al Jazeera les a notamment diffusées sur X.
Le lundi 10 novembre, la Knesset a voté par 39 voix contre 16 en faveur d'un projet de loi qui permettra à Israël d'exécuter les prisonniers arrêtés pour "terrorisme", sous réserve qu'il s'agisse de Palestiniens et non de colons israéliens, qui se livrent pourtant depuis des mois à une escalade de la terreur en Cisjordanie.
"Toute personne qui, intentionnellement ou involontairement, cause la mort d'un citoyen israélien, par racisme, haine ou intention de nuire à Israël, sera soumise à la peine de mort",
stipule le projet de loi. Il interdit toute révision d'une condamnation à mort dès lors qu'elle a été prononcée.
Ce vote portait sur la première lecture du projet de loi, qui doit en compter trois selon la procédure parlementaire israélienne. Mais le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son gouvernement soutiennent ce projet, selon The Times of Israel et Haaretz. Gal Hirsch, ancien commandant militaire de l'armée israélienne et responsable des négociations qui ont mené à la récente libération de prisonniers des deux camps, a déclaré à Haaretz que le projet de loi est
"un outil de plus nous permettant de lutter contre le terrorisme".
La couverture médiatique a été plus conséquente cette fois - mais pas aux États-Unis - avec des articles de meilleure qualité. La BBC a notamment rapporté que le projet de loi concerne "ceux qu'Israël qualifie de terroristes". L'agence Reuters a parlé de "militants palestiniens" plutôt que de "terroristes". Voilà des avancées modestes dans la bonne direction, c'est-à-dire en rupture avec le récit de l'État sioniste. Al Jazeera a également couvert l'événement, comme on pouvait s'y attendre. L'agence de presse turque Anadolu a rapporté qu'Ayman Odeh, un membre arabe de la Knesset, a eu une altercation avec Ben-Gvir, au cours de laquelle ils en sont presque venus aux mains. Pour être honnête, j'aurais même aimé que cela se produise.
Anadolu a ensuite rapporté les vantardises de Ben-Givr sur les réseaux sociaux :
"Jewish Power est en train d'écrire l'histoire. Nous avons promis et nous avons tenu parole".
Jewish Power, ou Otzma Yehudit en hébreu, est le parti de Ben-Givr, qui s'inspire du tristement célèbre Meir Kahane, le plus extrémiste des fanatiques sionistes.
Côté ONG, Amnesty International a eu le mérite de prendre position sans détour.
"La situation est grave, il ne faut pas la minimiser", a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice de recherche senior chez Amnesty. "Une majorité de 39 membres de la Knesset israélienne a approuvé en première lecture un projet de loi qui contraint les tribunaux à ne condamner à mort que des Palestiniens". L'intitulé de ce rapport était tout aussi pertinent : "Israël doit immédiatement suspendre la législation sur le projet de loi discriminatoire concernant la peine de mort".
Bien sûr, l'apartheid israélien ne mettra fin à rien. Plus la proposition est indécente, plus sa mise en œuvre est assurée. Et ainsi de suite. Jeudi et vendredi 13 et 14 novembre, l'armée israélienne a procédé à des arrestations massives en Cisjordanie, toutes les personnes arrêtées étant détenues pour "terrorisme". Le Times of Israel estime leur nombre à 50, le Jerusalem Post à 40. Jeudi, un groupe de colons israéliens a également envahi une mosquée à 18 km au sud-ouest de Naplouse, juste avant les prières du matin. Après avoir tagué des graffitis racistes sur ses murs et brûlé des exemplaires du Coran, ils ont tenté d'incendier la mosquée.
À quoi devons-nous nous attendre, 40 exécutions de masse ou plus dans un avenir proche ? Et combien d'autres ensuite ? Et les colons israéliens continueront-ils leur campagne de terreur ?
Je suis bien d'accord avec Amnesty et tous ceux qui condamnent le racisme implicite dans cette législation qui réjouit tant le répugnant Ben-Givr. Mais quid du raisonnement ? Le projet de loi de la Knesset serait-il acceptable s'il s'étendait également à la violence des colons et n'était pas discriminatoire ?
En réalité, l'enjeu est d'une tout autre ampleur. Les sionistes-nationalistes qui déterminent actuellement l'orientation d'Israël sont sur le point d'adopter une loi qui légalise des pratiques illégales selon la Charte des Nations unies, le droit international et tout autre cadre international régissant le comportement des nations. En d'autres termes, la Knesset et le régime de Netanyahu affirment implicitement que la loi israélienne prime sur ce que les juristes du droit international jugent illégal.
En d'autres termes, l'État d'Israël légalise l'exécution de prisonniers qualifiés de terroristes, et il lui suffit de déclarer que c'est légal pour que cela le soit. Telle est la position israélienne, sans équivoque.
Cette consécration du chaos par le droit national nous invite à une toute autre réflexion. En bref, comment l'État sioniste ose-t-il tenter un tel coup ? La triste vérité est que les États-Unis, leaders mondiaux de l'anarchie depuis longtemps déjà, autorisent les Israéliens à s'engager allègrement dans cette voie. Disons les choses clairement : ce que les Israéliens s'apprêtent à faire ne diffère en rien de ce que les Américains pratiquent déjà.
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La série de mémorandums secrets rédigés par les avocats du ministère de la Justice pour justifier la légalité des enlèvements, des détentions sans inculpation, des tortures, des "sites noirs" offshore et de Guantánamo en est l'exemple le plus flagrant depuis les attentats du 11 septembre. Les Conventions de Genève ne s'appliquaient pas, car tous ces combattants luttant sur leur propre sol contre les soldats américains étaient qualifiés de "combattants illégaux", et les États-Unis se sont soustraits à toute obligation de leur accorder une protection juridique en vertu du droit de la guerre. Le waterboarding, les passages à tabac, les décharges électriques, les perfusions rectales et tout le reste n'étaient pas de la torture : il s'agissait de "techniques d'interrogatoire renforcées", ayant même reçu un acronyme : EIT. Les sites secrets étaient légitimes, car ils se trouvaient en dehors des frontières américaines, et la Convention des Nations unies contre la torture ne s'y appliquait donc pas.
Ces "juristes" ont déformé le droit et la logique de manière véritablement diabolique, comme les lecteurs s'en souviennent peut-être. Le pire de ces voyous est John Yoo, auteur de plusieurs mémos "autorisant" la CIA à torturer des êtres humains. Âgé de 58 ans, Yoo est aujourd'hui professeur de droit à l'université de Californie à Berkeley. Je suppose que cela va de soi, vu ce que cet "impérium" en phase terminale pense être important.
Yoo et ses collègues du ministère de la Justice avaient une tâche à accomplir : légaliser l'illégalité, et ils y sont parvenus, du moins chez eux et sur le papier. Selon moi, on récolte ce que l'on sème. On peut tracer une ligne droite entre les violations du droit international commises par Washington après le 11 septembre et le vote de la Knesset lundi dernier.
Il y a quatre ans, Vincent Bevins, un correspondant talentueux, a publié un livre intitulé The Jakarta Method (Public Affairs, 2021), dans lequel il démontre que les massacres commandités par la CIA après le coup d'État de 1965 qui a porté Suharto au pouvoir en Indonésie incarnent le modus operandi des États-Unis durant toute la guerre froide. Le livre a reçu toutes sortes de récompenses et d'éloges, tous amplement mérités.
Je me demande s'il existe un terme similaire pour désigner la manière dont les États-Unis se sont comportés au cours des vingt-quatre années post-11 septembre. Toute cette folie obéit à une stratégie dont le principe fondateur est le chaos, et Israël est la nation qui l'adopte le plus ouvertement - ou, plus exactement, avec le plus de zèle.
Après les événements de septembre 2001, l'avocat international John Whitbeck, qui vit à Paris, a publié un essai sur la signification et le détournement du terme "terrorisme", qui a depuis été réédité maintes fois par divers éditeurs. Et deux décennies plus tard, il n'a rien perdu de sa pertinence. La newsletter Substack que je coédite, The Floutist, l'a réimprimé l'année dernière sous le titre "Terrorisme, ce terme insidieux". Cette version de l'article de Whitbeck est disponible ici. Il commence ainsi :
"La plus grande menace pour la paix mondiale et la société civile aujourd'hui est clairement le 'terrorisme' - et pas le phénomène auquel ce mot s'applique, mais le terme lui-même. Or, puisque le mot 'terrorisme' (tout comme le concept qu'il désigne) ne pourra jamais être éradiqué, il est impératif de le dénoncer pour ce qu'il est : rien qu'un mot".
Les États-Unis sont de loin le pays ayant fait le plus abusivement usage de ce terme. Leur liste des organisations terroristes étrangères (FTO) compte plusieurs pages. Depuis le début de l'année, le président Trump y a ajouté 19 nouveaux éléments et prévoit d'en ajouter d'autres. Les trafiquants de drogue sont des terroristes, Nicolás Maduro, le président du Venezuela, est un terroriste dont la tête est mise à prix pour 50 millions de dollars, les manifestants antifascistes sont des terroristes, la population immigrée aux États-Unis, légale ou illégale, est infestée de terroristes, de même que ceux qui manifestent contre la barbarie d'Israël à Gaza et en Cisjordanie. Il suffit de qualifier une organisation ou une personne de "terroriste" pour que la plupart des comportements illégaux soient tolérés, voire encouragés. Je ne sais pas si les Israéliens se sont inspirés des Américains pour apprendre le pouvoir de ce terme, mais ce sont eux qui l'ont mis en pratique avec le plus de constance, c'est-à-dire à outrance.
Une grande partie de ce que pratique "l'État juif" dans sa phase sioniste-nationaliste s'inspire de ce que les Américains ont "légitimé" les premiers. Un point à ne pas perdre de vue.
Les attaques de l'armée israélienne contre les flottilles d'aide humanitaire à destination de Gaza l'été dernier - drones, bombes incendiaires, puis abordage des navires et arrestation des équipages et passagers, le tout dans les eaux internationales - constituent un acte de piraterie en haute mer. Pensez-vous que les Israéliens auraient osé ces violations du droit si les Américains n'avaient pas ouvert la voie en saisissant la cargaison de quatre navires iraniens en route vers le Venezuela il y a quatre ans ? Aujourd'hui, le régime Trump se livre à des contorsions juridiques dignes de John Yoo pour justifier ses exécutions extrajudiciaires de pêcheurs naviguant dans la Caraïbe et l'est du Pacifique, prétendant, bien entendu, qu'ils sont des "narco-terroristes" .
Après le 11 septembre, l'empire américain, pris de folie, a plongé le monde dans le chaos - en toute impunité, avec la complicité des puissances occidentales -, anéantissant ainsi les espoirs d'un monde meilleur après les victoires de 1945. Il a ainsi légitimé, grâce à son propre exemple, le droit pour d'autres de bafouer le droit international et les institutions créées collectivement pour l'établir et le faire respecter.
Israël n'est pas la seule puissance à contribuer activement au chaos. Les Européens voient aussi des terroristes partout. L'Union européenne débat actuellement de la façon dont elle va gérer le vol de 140 milliards d'euros d'avoirs russes gelés, soit environ 163 milliards de dollars, pour poursuivre la guerre en Ukraine. Mais ils ne sont pas les seuls. Cependant, les Israéliens s'illustrent plus que quiconque par une pratique que je qualifierai de "stratégie post-11 septembre".
Traduit par Spirit of Free Speech
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique médiatique, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, 'Journalists and Their Shadows', est disponible chez Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence.